Casa: Prompts et défis en folie!

Petite lionne. Ceci est l’histoire de ta naissance.

Quand un enfant naît dans notre village, c’est toujours une grande fête. Quand un enfant arrive à naître. A mes 17 ans, quand je suis tombée enceinte de toi, il n’y avait pas eu plus de 10 naissances depuis la mienne. Et seulement 7 bébés qui avaient survécu à l’accouchement.

Quand une femme enceinte dépassait le huitième mois de grossesse, c’était comme si le village entier l’entourait pour vivre sa grossesse avec elle. Toutes les autres femmes la couvraient de cadeaux. Les hommes lui ramenaient de la viande de leurs chasses. Les enfants et les jeunes prenaient en charge les tâches qui lui étaient habituellement confiées. Tous l’entouraient de soins particuliers. Une femme prête à donner la vie portait en elle tout l’espoir d’un village, tous les rêves de notre peuple.

Tu es arrivée une nuit d’été. Il faisait si chaud. La veille, le doyen du village prévoyait une nuée d’étoiles filantes. Tu es arrivée en même temps que les étoiles. Et j’ai cru que comme elles, tu ne ferais que nous éblouir quelques instants de ta présence pour nous replonger ensuite dans le noir de la nuit.

Le jour tombait à peine quand j’ai su que tu allais arriver. Toute la journée, je m’étais sentie si pleine d’énergie. L’énergie de ta vie. Au matin très tôt, j’étais partie me balader le long du ruisseau qui borde notre forêt. Jamais je ne t’avais sentie aussi proche, aussi agitée à l’intérieur de mes entrailles. Je te parlais, te décrivant les arbres parmi lesquels tu allais vivre, la sensation du soleil sur la peau, le goût des baies sauvages qui explosent sous la langue, déversant un jus sucré dans la bouche.  Je me taisais aussi. Pour te laisser écouter le bruit de l’eau qui s’écoule le long de son lit, les bruissements des feuilles bercées par le vent et le chant des oiseaux. Finalement je m’étais endormie à l’ombre d’un arbre de tilleul à l’heure où le soleil était le plus haut dans le ciel. A mon réveil, je ne m’étais jamais sentie aussi confiante. J’étais persuadée que tout ne pouvait que bien se passer. J’allais donner vie à un petit être qui grandirait et donnerait un sens à notre vie. Mais à mon retour, tout le village était en émoi.

Les hommes de la Ville de Fer avaient été aperçus dans les montagnes à quelques kilomètres du village. On disait qu’à chaque fois qu’ils apparaissaient un grand malheur arrivait. C’est à ce moment-là que les premières contractions sont apparues. J’ai vu peu à peu les visages de tous les hommes et de toutes les femmes qui se décomposaient. Un enfant né le même jour qu’un passage des hommes de la Ville de Fer, personne n’y croyait. J’ai vu des vieilles femmes allumer des torches au bord de leur fenêtre, pour guider l’esprit du bébé qui n’allait pas survivre jusqu’au ciel. J’ai entendu mes voisins murmurer qu’un enfant né aujourd’hui serait un enfant maudit.

J’ai commencé à avoir peur. Ma mère est venue  avec un remède qui pouvait selon elle faire cesser les contractions, retarder ton arrivée. Mais rien n’y faisait, bien au contraire le travail ne cessait d’accélérer et mes douleurs s’amplifiaient. Presque tous les habitants s’étaient rassemblés au cœur du village et priaient silencieusement ensemble.  Ma mère et deux autres femmes finirent par m’installer allongée dans ma hutte, me déshabillèrent et se mirent à m’asperger de décoctions aux plantes pour me purifier tout en clamant des chants traditionnels.

Je me mis à pousser alors que les pluies d’étoiles tombaient sur nous. Par une fissure que nous n’avions pas encore eu le temps de réparer je pouvais voir leurs lumières qui déchiraient le ciel. J’espérais qu’elles te guident jusqu’à moi. Après un temps qui me paraît interminable, j’entendis au loin ma mère m’annoncer qu’elle te voyait, que tu n’étais plus très loin. J’ai cru que je n’y arriverais jamais, que la douleur allait me faire perdre l’esprit. Je ne comprenais plus ce que disaient les femmes autour de moi. La seule chose que je parvenais encore à entendre c’était le battement de mon cœur qui résonnait dans ma tête, menaçant de la faire exploser.

Finalement, je sentis ma mère t’arracher de moi. Je crus perdre connaissance. Je ne percevais plus le sens des paroles que j’entendais, je discernais simplement l’inquiétude et la peur dans les voix. Soudain, je réagis. Je ne t’avais toujours pas entendu crier. Cette révélation m’insuffla une énergie nouvelle et je me redressai pour te voir. Tu étais née avec le cordon enroulé autour du cou et tu ne respirais pas. Je vis ma mère te libérer en un coup de couteau. Et le silence se fit.

Nous étions toutes les quatre à te regarder, sans oser bouger, sans oser émettre le moindre son. Je ne pensais même pas à prier. Supplier le ciel me paraissait bien vain compte tenu de toutes les souffrances qu’il n’avait fait que nous apporter ces dernières années. Et puis, alors que nous n’y croyions plus, tu as ouvert les yeux. Droit vers la fissure du plafond. Et silencieusement tu as regardé le ciel et les étoiles tomber. Comme si cette lumière inconnue t’intriguait. Tu as poussé ton premier cri. Un rugissement sans fin libérant mon cœur et mon corps qui se remit en mouvement pour t’attraper et t’emmener à mon sein.

C’est ce rugissement et ton courage face à la mort qui t’attendait qui t’ont donné ton nom. Lionne dans l’ancienne langue de nos mères. Serani.